Le cordonnier aussi s’enrhume.

Je m’occupe de Léa depuis le désir de grossesse de ses parents. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu de soucis particuliers pendant cette première étape intra-utérine, c’était  un bébé très attendu. Elle a franchi la ligne d’arrivée à temps et en parfaite santé.

Ses tous premiers mois furent exemplaires, mis à part un petit RGO bénin sans retentissement staturo-pondéral, elle donnait du areu épanoui à des géniteurs béats.

A 7 mois, Elle a eu un traumatisme crânien sans perte de connaissance, suite à un banal accident domestique: enfant dans son transat  perché sur une caisse, l’ensemble bascule et paf ! Léa se retrouve face contre terre. A croire que les parents veulent parfois susciter des vocations acrobatiques avant l’heure.  Elle a pleuré de suite. En palpant son crâne, j’ai perçu une tuméfaction temporale dure et arrondie d’environ 2 cm de diamètre  sous le fin duvet  capillaire, sans modification apparente de la peau en regard, ni douleur au toucher. Personne n’avait le souvenir d’avoir palpé de bosse à cet endroit-là auparavant. Mon cerveau a mis le turbo pour comprendre la signification de cette lésion qui ne ressemblait pas à quelque chose de  traumatique, mais qui était quand même perçue au décours d’un traumatisme.  Hésitante j’ai préféré contacter le pédiatre de garde à l’hôpital, qui m’a conforté dans l’hypothèse d’une lésion de découverte fortuite, sans relation apparente avec le choc subi. J’étais rassurée, il a suffit d’appliquer les consignes de surveillance post traumatisme crânien.

Ouf, pas besoin de courir aux urgences, plus de peur que de mal, soulagement général. Par la suite, j’ai palpé régulièrement la bosse, il n’y avait pas d’évolution fulgurante, et tout allait par ailleurs  pour le mieux  (en dehors de cette fois où, à 18 mois, j’ai du l’immobiliser seule pour la vacciner et que je lui ai enfoncé l’aiguille jusqu’à la garde, elle n’avait guère apprécié). Je me rassurais donc sur le caractère bénin de l’excroissance, avec quand même une petite loupiote clignotante qui, du fond de mes circonvolutions cérébrales, me lançait des signaux en morse « et si c’était grave ? ». La loupiote a du progressivement gagner en puissance, parce qu’un jour, sans réel élément nouveau, plus de douze mois après la chute, je me suis brutalement mise à psychoter sur sa potentielle gravité. J’ai alors contacté un neurochirurgien, qui m’a répondu que ce n’était sûrement rien mais que ça pouvait quand même être quelque chose, du style histiocytose, et là, j’ai commencé à avoir des sueurs froides en priant intérieurement pour que surtout ce ne soit rien, sinon je regretterais toute ma vie d’avoir laissé traîner. Léa a donc passé une radio du crâne qui a retrouvé une image lacunaire avec un amincissement important de l’os du crâne . Le neurochirurgien l’a revue avec un scanner fait sous anesthésie (pas facile de rester immobile à cet âge) ; l’aspect lésionnel était rassurant à priori mais il y avait une indication opératoire afin de s’en assurer et stopper le développement local. Finalement Léa a été opérée à 2 ans.

Résultat, c’était heureusement un truc tout bénin, un kyste dermoïde, avec des cheveux dedans  ( pour ceux qui veulent en savoir un peu plus sur ces kystes qui peuvent être aussi intra-crâniens : c’est ici ).

Une bonne leçon de prudence pour le médecin débutant que j’étais alors, juré-craché : plus question de laisser traîner quoique ce soit pour quiconque, les enfants en particulier, Léa sur la plus haute marche du podium de mon hyper-vigilance toute neuve.

Maintenant quand  je l’examine, je palpe son crâne et je perçois une petite zone de dépression en lieu et place de l’ancienne bosse qui me rappelle à mon incompétence passée.

Aujourd’hui, Léa a 9 ans et malgré mes bonnes résolutions de jadis, je suis dépassée par cet être si complexe. Elle a des douleurs abdominales qui durent depuis 2 ans ; un bilan hospitalier de jour a été réalisé en pédiatrie il y a 6 mois avec une possible intolérance au lactose non objectivée, le régime d’abord sans puis allégé en lactose fonctionnant plus au moins. Elle est très émotive, vite anxieuse, ce qui participe certainement à ses douleurs.  Je peine  à l’aider et ses plaintes sont de plus en plus fréquentes, dépassant largement la sphère digestive, le moindre bouton de moustique la gênant pour trouver le sommeil, le plus léger traumatisme la faisant souffrir de manière disproportionnée. Ces derniers mois, l’ensemble de ses troubles a entraîné de surcroît un absentéisme scolaire croissant. A cette occasion, elle a rencontré le psychologue qui a proposé des pistes familiales pour l’aider à retrouver une place saine d’enfant, dans l’insouciance des maux des adultes.

Depuis, le sentiment de médiocrité m’étreint. Ah! Ce mauvais médecin qui bute devant la multiplicité des plaintes et n’arrive pas à faire le tri…Je suggérerais bien à ses parents de changer de boutique, si je n’étais aussi celle qui a mis Léa au monde, maman pétrie d’imperfections, dont les paroles et les gestes ne suffisent pas à guérir son petit, même en invoquant la magie…

A ce jour la situation n’est pas encore clarifiée pour Léa qui reste de fait mon cobaye favori, à domicile vous prie-je. J’expérimente sur elle de nouvelles techniques de relaxation familiale. Tiens, l’hiver passé, j’ai décidé d’abandonner la lutte perpétuelle consistant à lui faire enfiler des chaussons. Vous savez, ces trucs en forme de chat à fourrure rose ou encore imitant la pantoufle de Cendrillon, dont l’usage assidu permet en temps normal de limiter le contact carrelage glacé/peau des pieds, afin d’opposer une résistance efficace au froid. Ce froid sournois qui, d’après ma grand-mère, adore passer par les pieds pour se propager jusqu’à la sphère O.R.L. et induire ainsi l’inexorable rhume. C’est pas pour rien que le rhume se nomme« cold » chez nos amis anglais. Et bien malgré ce haut niveau de preuve, je me suis persuadée que l’abandon systématique des chaussons sous les tables était probablement le signe de leur inutilité. Depuis, Léa marche toujours pieds nus. Et j’en suis heureuse pour elle.